Entretien par Wenke Mast

Photos par Nathalie Pauwels/Morrec

Le musée est orné d’un nombre important de mosaïques. Notamment le hall d'entrée et l'imposante cage d'escalier du XIXe siècle. Mais aussi le balcon situé à l'avant. Ce sont les frères Pellarin, spécialistes de la mosaïque et originaires de la commune Sequals en Italie du Nord, qui ont posé à la fin du XIXe siècle ces magnifiques sols.  Gino Tondat et Sarah Landtmeters de Mosaico di Due se sont chargés de la restauration de chaque ensemble. Ils ont également réalisé la nouvelle mosaïque artistique en haut des escaliers du musée.

Parmi des millions de tesselles en marbre et en verre aux mille et une teintes, nous rencontrons Gino et Sarah dans leur atelier. Au mur, une maquette de l’artiste Marie Zolamian (voir ZAAL Z n° 28) est accrochée : le plan de la nouvelle mosaïque artistique. La maquette est divisée en plusieurs sections : "Les sections bleues sont prêtes", explique Gino. "Après avoir taillées chacune des tesselles à la main, il faut les retourner et les coller sur une feuille de papier. Ces feuilles seront agencées in situ. Nous utilisons du papier riche en cellulose, rugueux d’un côté et lisse de l’autre. Sur le côté rugueux, les tesselles sont fixées à l’aide d’une colle à base de farine. Sur place, le côté comportant les tesselles est posé sur un lit de mortier. Le côté lisse du papier figure au-dessus. Il sera humidifié afin que la colle se ramollisse et que le papier puisse être enlevé. Puis, les joints sont colmatés et l’ensemble peut être poli."

Nouvelle mosaïque d'art - La nouvelle mosaïque artistique d'après la maquette de Marie Zolamian règnera en haut des escaliers d’accès du KMSKA (détail).

Il est agréable de voir comment une maquette se transforme en un ensemble de tesselles.

Sarah: "Ce qui est unique dans ce projet, c'est que nous sommes amenés à travailler avec une soixantaine de variétés de marbre provenant du monde entier. Il y bien le double de teintes et de dégradés."

Gino: "Ainsi, cette assemblage devient une véritable peinture en tesselles. Selon Domenico Ghirlandaio, maître de la Renaissance, une mosaïque est une peinture pour l'éternité. Nous travaillons sur un projet qui durera beaucoup plus longtemps que notre propre existence. C'est une belle pensée."

La plus grande de l’Europe ?

L’ancienne mosaïque qui se trouvait en haut des marches du musée n'a pas connu une longue vie.

Gino: "C'est vrai, ce sol est là depuis seulement les années 1970. Il a été posé sur un mauvais support et était techniquement mal exécuté. C’est pour cela qu’il n'a pu être sauvegardé. Une occasion unique pour le musée puisqu’il sera remplacé par la plus grande mosaïque artistique d’Europe. En taille, il se peut que celle de Luc Tuymans au MAS soit toutefois plus grande. Mais celle-ci compte moins de 100 000 tesselles. La mosaïque du KMSKA en comptera 480 000. Ce n’est pas dénué d’intérêt, n’est-ce pas?"

En plus de cette mosaïque artistique en cours de réalisation, vous avez restauré à vous deux presque tous les sols en mosaïque du musée.

Gino: "Réparti sur une période de presque trente ans. La première fois était au début des années 1990. À l'époque, la grande cage d'escalier a fait l'objet d'une restauration pour l’occasion d’Anvers ‘93. Dix ans plus tard, nous avons restauré une petite mosaïque dans la partie arrière du musée et maintenant, avec la rénovation, nous nous chargeons de tous les sols restants. La boucle est bouclée."

Voor de reiniging
Na de reiniging

Une passion partagée

Gino exerce depuis près de quarante ans, alors que Sarah peut se prévaloir d’une expérience de seize ans dans le métier. Comment est née la passion pour la mosaïque ?

Gino: "Chez moi, c'était dans la famille. Dans les années 1920, mon grand-père réalisait des bordures en mosaïque pour les sols en pierre et par la suite, mon père a fait de même. Quand les modes ont changé, ils ont commencé à poser d'autres types de sols. À 13 ans, j'ai suivi mon père depuis la Belgique jusqu'à sa région natale, au nord de l'Italie. Il voulait absolument aller au Palio, la course de chevaux de Sienne qui se tient chaque année. Comme il conduisait de manière assez sportive, j'avais mal au cœur tout le long du voyage. Il en avait assez de devoir s'arrêter sur le bord de la route et n'a rien trouvé de mieux que de passer devant sa ville natale et de m'y laisser avec un couple de Hollandais que je ne connaissais pas du tout. Ils m'ont emmené à Spilimbergo, une petite ville où nous avons visité la Scuala Musiva. Je ne parlais pas un mot d'italien et au début je pensais que c'était une école de musique. À l'intérieur, les murs et les plafonds étaient ornés de feuilles d'or et de mosaïques. De l'ancien et du moderne, le tout mélangé. J'étais impressionné, mais je voyais surtout une opportunité de ne pas devoir retourner au collège. Quand mon père est venu me chercher, je lui ai dit que je préférais faire l'école de mosaïque. Il s’y est rendu directement. Ils ont dit que j'étais trop jeune - il fallait avoir 16 ans - mais mon père ne voulait rien entendre. Il est allé voir le directeur et lui a dit : « Je suis d'ici, mes parents sont d'ici et mon fils ira à l'école ici. » Voilà c'était réglé. La formation a duré quatre ans. Les premières années étaient fort ennuyeuses. Nous devions apprendre le métier, maîtriser la technique de taille, poser des motifs... Plus j'étais libre, plus la passion grandissait."

"La mosaïque est un métier qui existe depuis des milliers d'années et dont le style et la technique sont en permanente évolution. Il faut constamment expérimenter. "
Gino Tondat

Vous avez également enseigné pour transmettre votre passion. C'est ainsi que vous vous êtes rencontrés. Et maintenant, vous vivez et travaillez ensemble. Gino était-il un bon professeur, Sarah ?

Sarah: "Je me souviens surtout qu'il était très sévère au début. En classe, lorsque l’on travaillait, il y avait un silence absolu. J'ai visité l'atelier de Gino pour la première fois lors d'une journée porte ouverte à l'académie de Wilrijk. Il y avait foule. Mais j'ai tout de suite su : c'est ça que je veux faire. Je me suis inscrite et je me suis lancée. Dès la première année, je l’accompagnais sur des chantiers. Au bout d'un certain temps, on m'a permis de me charger d’une fissure dans un sol en mosaïque. C'est ainsi que j'ai eu de plus en plus de responsabilités. Durant mes études, j'ai également effectué des missions pour mes propres clients."

Gino: "C'est sur le lieu de travail que l'on apprend le plus. Bien plus qu’à l’académie. Après ma formation en Italie, j'ai dû, moi aussi, continuer à me former.  Comment, par exemple, on travaille avec des pigments, quel est l'effet d'un certain type de support… J'ai soixante ans et j'apprends encore tous les jours. La mosaïque est un métier qui existe depuis des milliers d'années et dont le style et la technique sont en permanente évolution. Il faut constamment expérimenter."

Mozaïst pur sang - Gino Tondat van Mosaico di Due
Gino Tondat van Mosaico di Due

Travailleurs saisonniers

Vous restaurez mais vous réalisez également des concepts créés ou non par vos soins. Quelle partie de votre travail est la plus satisfaisante ?

Gino: "Le moment où vous posez le sol et où vous pouvez voir le résultat final dans son intégralité. C'est toujours un moment du suspense : Avons-nous bien pris les bonnes mesures ? Le papier que nous utilisons se dilate parfois, créant ainsi un léger écart. Ceci a été le cas dans la cage d'escalier du musée. Il y avait une différence d'un centimètre sur la surface totale. Heureusement, sur une longueur de 15 mètres, on peut parfaitement y remédier en écartant les tesselles d'un millimètre par mètre. Quand enfin la mosaïque est ajustée, on éprouve une grande satisfaction. Et dès que le sol est poncé, toutes les couleurs ressortent. C’est magnifique"

"Parfois, le client est tellement ému par le résultat final que moi aussi, j’en ai les larmes aux yeux. "
Sarah Landtmeters

Sarah: "Nous avons de la chance que nos missions soient très variées. Nous travaillons dans tant d'endroits différents. Parfois, en travaillant dans une maison privée, le client est tellement ému par le résultat final que moi aussi, j’en ai les larmes aux yeux. Tous les aspects du métier ont leur charme."

Gino: "A l'exception des fonds aux motifs répétitifs. Pour l’ancien Schippersbeurs (bourse des bateliers) d'Anvers, nous avons dû poser de tels motifs sur une longueur de 300 mètres. Que des lignes droites. C’est très ennuyeux. Dans ces cas-là, nous faisons appel à nos sœurs. On leur propose un contrat temporaire et elles doivent suivre les lignes tracées sur papier. La fille de Sarah maîtrise également bien le métier."

Handwerk - De mozaïeksteentjes worden met de hand gekapt. (foto: Morrec)

Bientôt, votre mission pour le musée sera terminée. Que nous souhaitez-vous ?

Gino: "Deux fois plus de visiteurs que prévu."

Sarah: "Et surtout une belle harmonie entre l'ancien et le nouveau, puisque le changement viendra de là."

 



Cette conversation a déjà été publiée dans le numéro d'hiver de notre magazine gratuit ZAAL Z.