6 choses à savoir sur La Mangeuse d’huitres d’Ensor
La Mangeuse d'huîtres est un jalon dans l'art de James Ensor. Pour quelles raisons ? Découvrez tout ce qui se cache derrière l’œuvre !
Il y a 70 ans aujourd'hui, mourait James Ensor. Le KMSKA abrite la plus fastueuse et la plus diversifiée collection Ensor au monde. Pas étonnant puisque le père de la peinture belge moderne a laissé derrière lui des œuvres on ne peut plus variées. Herwig Todts, chercheur au KMSKA, connaît l’œuvre d'Ensor mieux que quiconque. Il est, par conséquent, l'homme par excellence pour révéler à quel(s) courant(s) artistique(s) Ensor a finalement bel et bien appartenu. Nous en avons choisi quelques-uns.
Herwig Todts: “Un expressionniste, en quête de l'essentiel, magnifie l'émotion qu'il veut représenter. Comme Le cri de Munch dans lequel on peut voir une sorte de cri primaire, avec des figures déformées pour renforcer l'émotion. Ensor reste beaucoup plus proche de la réalité. Cependant, il exploite les expressions faciales des masques pour articuler son point de vue. Il glisse par exemple le masque d'un personnage diabolique du théâtre japonais Nō sur le visage affligé d'un Christ fouetté de la collection du KMSKA. Le résultat est une image puissante d'un Jésus en colère qui crie sa révolte contre ce qui lui a été infligé : L’homme de douleurs. Les véritables expressionnistes adoraient une telle œuvre : ils voyaient chez Ensor un aboutissement qu’ils voulaient eux-mêmes atteindre, non pas avec des masques, mais avec des visages ordinaires de gens.”
Herwig Todts: “Des couleurs vives et des jeux de lumière directement sur la toile sans sous-couche ou autres couches intermédiaires, voilà en quoi se résume en un mot l'impressionnisme. L’impressionnisme français a commencé avec l’œuvre de Manet. La Belgique souhaitait également un tel point de départ. De ce fait, La mangeuse d'huîtres d'Ensor a été proclamée comme étant le premier tableau impressionniste belge, si ce n’est qu’Ensor connaissait le style seulement par le biais de la presse. Il a cependant réussi à saisir une « impression » avec cet effet de lumière dans une scène chaleureuse. En revanche, sur le plan technique, Ensor s'est appuyé sur ses connaissances scolaires en appliquant une peinture sous-jacente (beige) comme le veut la tradition. Plus tard, comme pour son Théâtre de masques, Ensor s’appropria la technique des impressionnistes, c’est-à-dire, pas d’ombres ni de demi-tons sur un couche de fond de couleur blanche. Sauf qu’ici c’est la fantaisie qui prime. Il ne s’agît donc pas non plus de pur impressionnisme.”
Ensor ne choisissait pas la subtilité. Il aimait des choses plus sauvages.
Herwig Todts: “Un réaliste dans le sens où il peignait ce qu'il voyait, ce qu'il avait devant lui, comme ses fameux masques, pour ensuite aller jusqu'au bout, en cherchant les limites. Certains artistes se perfectionnent dans un nombre limité de sujets, comme Cézanne qui cherchait l'image ultime d’une seule montagne. Ils choisissent un certain terrain. Ensor non, il veut exceller en tout. Il travaille sur un thème par projet, en expérimentant une technique ou un style. Lorsqu'il a au final réalisé ce qu'il avait en tête, au bout de six ou dix ans, il finit par abandonner son « projet ». Néanmoins, il ne s'est jamais complètement éloigné du réalisme, de la représentation fidèle.”
Herwig Todts: “Certains styles ne lui convenaient pas, comme par exemple, l’énigme subtile du symbolisme. Ensor ne choisissait pas la subtilité, bien qu’il ait essayé, comme la Vue prise en Phnosie. Le résultat est toutefois trop réel pour susciter une atmosphère mystérieuse. Il n'a pas réalisé beaucoup d'œuvres dans ce genre : il aimait des choses plus sauvages. ”
Ensor cherchait la provocation, le ridicule, et combiné à sa vision pessimiste, il en résulta une œuvre comme L’intrigue. Cette peinture montre son image de l'humanité. Il tourne en ridicule des gens, qui sont à ses yeux stupides, insensés ou méchants.
Herwig Todts: “Un fumiste peut-être, ce qui désignait au XIXe siècle un farceur. Si l’on applique ce terme à l'art moderne, il s'agit de quelqu'un qui ne prend pas au sérieux les traditions existantes. Les œuvres des impressionnistes semblaient inachevées et c’est bien la raison pour laquelle les critiques les prenaient pour des « fumistes ». Ensor cherchait la provocation, le ridicule, et combiné à sa vision pessimiste, il en résulta une œuvre comme L’intrigue. Cette peinture montre son image de l'humanité. Il tourne en ridicule des gens, qui sont à ses yeux stupides, insensés ou méchants. Les masques montrent le vrai visage des gens. De manière similaire, il flirte avec le mythe de l'artiste incompris. Ensor laisse parfois son « moi » sous-estimé coïncider avec le Christ, la personne la plus souffrante de tous les temps. Est-ce que Ensor s'est réellement senti si frustré ? Ou, là aussi, était-ce qu’une simple provocation, un jeu ? C'était assurément du fumisme.”