Chers amis, belles amies, masques ennemis loyaux et autres, je m'incline et vous salue, touché par l'accent varié et profond de vos hommages.
10 février 29
Chers amis, belles amies, masques ennemis loyaux
et autres. Je m’incline et vous salue, touché par l’accent
varié et profond de vos hommages.
Saurai-je de ma voix fanée vous dire les bonheurs et
les affres du vieux peintre trop fêté?
Rétrospective combien lourde à porter…
Abreuvé de délices, bourré d’enthousiasme, noyé de joie, gavé
de réconfort, aveuglé par vos lumières, assourdi par vos appels, sti-
-mulé par vos éloges, farci de vos vitamines, soulevé de mon siège
balancé sur ma chaise, je renacle et caracole tel vieux coursier
en mal de stabilité.
Ah! la vie n’est qu’une palpitation et l’histoire d’icelles fut l’his-
toire de ma peinture, en broyant du noir j’ai vu surtout du rose
vision irisée des peintres de l’espace, vision de Narcisse malmené par Pluton.
Vie simple uniforme de bon ton, dit-on, mais emplie des couleurs vives
et tendres vomies par les poissons nacrés, pêchés dans les eaux vives
de Phnosie par les pêcheuses de Narquoisie.
Nos beau rêve phosphoré : finir en beauté tendrement enlacé par
pieuvre passionnée; couché parmi les moules parquées d’Ostende et
les sirènes bavardes, je m’offrirai aux baisers avides des jolies bêtes
des eaux du Ciel, de la Terre et de la Mer.
Et vous amis sculpteurs ci-présents, saurez-vous mouler mon
masque décomposé, déformé par la lumière, anobli par les eaux?
Mes chers amis, a il faut louer le courage périmé, les grandes
œuvres de lutte des confrères disparus, et quand les lucioles
claires porteuses de lumière s’abîment tristement dans les ma-
-rais fangeux, il faut louer sans cesse en tous sens, en tous
lieux, le sourire lumineux, le sourire éternel des bons maîtres
du passé.
Au temps enténébrés de mes débuts au Cercle La chrysalide
à l’Essor, cercles peureux, puis aux Vingt et à la Libre Esthétique
milieux glorieux, crachant feu et flamme, quand sonnaient
et fusaient les francs rires des imbéciles, les sourires des érudits, les
soupirs cruels des vieux critiques, les longs outrages, les imcompré-
A4118_002 (links)
-hension tenaces, les cris d’horreur des bécasses les brimades,
les pluies de pain et d’oignons; quand les esthètes exas-
-pérés échangeaient force horions; après vinrent pour me
panser les vierges consolatrices, les dames en détresse, les
bas-bleus isabellés, les servantes accortes portant haut
leur petit nez retroussé.
Puis le malheur des pouilleux indisposés des poissardes
mélancoliques, des masques scandalisés et singuliers, les
douleurs des Christ tourmentés me dirent bien des choses.
Et maintenant c’est le grand contraste, l’époque dite des
libertés, des licences, du bon accueil aux chercheurs des
banquets, des fleurs en bouquet, des cuisiniers dangereux,
des vivisecteurs impunis, des destructeurs de sites, des
ratiboiseurs de nos bois précieux, des violeurs de nos dunes
suaves, des combleurs de nos bassins prestigieux, des vandales
effrontés, des architectes cubiques aux derrières croulants mal
bétonnés, des médicastres aux moëlles de ouistiti, des censeurs
pudiques verbalisant , encore des gabelous farfouilleurs à
l’index erectile osent griffer les pages libres et humaines de
nos grands artistes.
Mais tout de même là-bas au loin, cachés en des coins
arpentant des plaines, des chercheurs méconnus jeunes
et vieux veillent, certains chancellent, ils vous appellent
Oui, des travailleurs masqués broient des couleurs d’aurore,
affinent des pourpres nouvelles, polissent et repolissent des
marbres et des bronzes, forgent des tableaux, pétrissent des
gaz, taillent des pierres précieuses pour orner le berceau
des hommes de demain et des braves enfants cueillent
pieusement des roses pour parer les dames de leurs
pensées et ceinturer leurs compagnes humanisées.
,hension tenaces, les cris d’horreur des bécasses les brimades,
les pluies de pain et d’oignons; quand les esthètes exas-
-pérés échangeaient force horions; après vinrent pour me
panser les vierges consolatrices, les dames en détresse, les
bas-bleus isabellés, les servantes accortes portant haut
leur petit nez retroussé.
Puis le malheur des pouilleux indisposés des poissardes
mélancoliques, des masques scandalisés et singuliers, les
douleurs des Christ tourmentés me dirent bien des choses.
Et maintenant c’est le grand contraste, l’époque dite des
libertés, des licences, du bon accueil aux chercheurs des
banquets, des fleurs en bouquet, des cuisiniers dangereux,
des vivisecteurs impunis, des destructeurs de sites, des
ratiboiseurs de nos bois précieux, des violeurs de nos dunes
suaves, des combleurs de nos bassins prestigieux, des vandales
effrontés, des architectes cubiques aux derrières croulants mal
bétonnés, des médicastres aux moëlles de ouistiti, des censeurs
pudiques verbalisant , encore des gabelous farfouilleurs à
l’index erectile osent griffer les pages libres et humaines de
nos grands artistes.
Mais tout de même là-bas au loin, cachés en des coins
arpentant des plaines, des chercheurs méconnus jeunes
et vieux veillent, certains chancellent, ils vous appellent
Oui, des travailleurs masqués broient des couleurs d’aurore,
affinent des pourpres nouvelles, polissent et repolissent des
marbres et des bronzes, forgent des tableaux, pétrissent des
gaz, taillent des pierres précieuses pour orner le berceau
des hommes de demain et des braves enfants cueillent
pieusement des roses pour parer les dames de leurs
pensées et ceinturer leurs compagnes humanisées.
Il faut les aimer, les appeler, les protéger, ils seront
purs et sensibles, ils aimeront les bêtes toujours belles et bonnes,
ils seront grands, ils seront beaux en survolant les terres promises.
Petits prophètes repus et sans loi, petits pères, mécènes endo-
-loris sans foi, et vous novateurs sans toits attendons les messies
tant désirés, les messies des formes pures, des couleurs fluides,
des couleurs des rêves, des sens de la vie, enfin.
chers amis, belles Amies ou ennemiS, levons nos verres à
ceux qui s’en vont, tendons nos verres à ceux qui viendront,
vidons nos verres à ceux du présent et saluons la vie des
êtres et des choses, la vie imperissable, la vie infinie.
Je veux vous remercier tous en bloc et en corps, je ne
puis citer tous vos bienfaits, vous êtes trop nombreux; je re-
-mercie ceux qui donnent leurs œuvres, ceux qui dépensent
sans compter leur temps précieux. Je remercie mes amis de
Belgique et de l’Etranger.
Je remercie les organisateurs et tous mes défenseurs en
paroles et en action. Vous avez fait de moi un heureux
de la terre, encore merci et de cœur.
Chers masques et Amis, un dernier mot pour Monsieur
Max, bourgmestre maternel de notre grand Bruxelles
du présent, de notre magnifique Bruxelles du passé
De Bruxelles joie de mes parents; mon père est né chez
vous en 1835.
Je revois mes amis de 1880, l’époque ardente des luttes
pour l’Art; ils sont morts les amis de Joie et d’ivresse
tous purs Bruxellois et premiers défenseurs: Edmond Picard,
Maus, Waller, Demolder, Lemonnier, Eekoud, de Haulleville,
mais fiche de consolation, il nous reste Sander Pierron, le
bon ami de Neptune, l’explorateur canalisé des plate-côtes
de Molenbeek, des bas fonds d’Ixelles, des rives de Maelbeek
d’Etterbeek et de Marollebeek.
,
J’entrevois parmi vous sous des masques interroga-
-teurs ou des loups noirs : Charles Bernard, aux
dents longues, De Rudder, chaud d’esprit et de cœur,
Solvay, portant haute et ferme le pavillon respectable
de l’art cher ceux petits bourgeois bruxellois.
Et maintenant je veux songer à Manneken-pis le plus
ancien bourgeois bruxellois, le Roi de vos fêtes, l’animateur
interrissable des esprits brabançon, l’arroseur acide, causti-
-que effervescent.
Mesdames, messieurs, masques, ministres, Bourgmestres, cri-
-tiques sévères et autres, Je vous adresse une prière :
Je vous demande pour Manneken-pis un costume de peintre.
Ah ! qu’il serait beau votre enfant portant la blouse bigarée,
le feutre en bataille de nos peintres.
Il fut sans-culotte[1], grognard, bourgeois-citoyen, garde-ci-
-vique, fonctionnaire breveté, archer médaillé, pêcheur, Gilles,
défenseur de la chose publique, de lu république, de la
constitution, il fut libéral, catholique, socialiste, franc-maçon,
anglais, français, américain, international, amiral, géné-
-ral, caporal ; qu’il soit peintre enfin et tous nous appleu-
-rons : « Vive Manneken-pis, le bon cracheur la
mascote des francs peintres, le dieu mignon habillé
par nos sœurs, l’emblème viril de nos garçons, qu’il soit
peintre enfin et Vive monsieur Max son parrain sym-
-pathique. Applaudissons à tout rompre, saluons monsieur Huysmans Van den Nest,
l’échevin distingué et astiqué des Beaux Arts de Bruxelle (sic) la reine
fleurie de nos cités.
James Ensor
Et chers amis je vous convie à vider cette coupe ou fume en bouillon-
À propos de ce document d’archive
Identification
- Type d'objetmanuscrite
- TitreChers amis, belles amies, masques ennemis loyaux et autres, je m'incline et vous salue, touché par l'accent varié et profond de vos hommages.
- Date10/02/1929 - 21/04/1934
- RelationsAuteur: Ensor, James
La Chrysalide, L’Essor, Les Vingt, La Libre Esthétique, Max, Adolphe, Picard, Edmond, Maus, Octave, Waller, Max, Demolder, Eugène, Lemonnier, Camille, Eekhoud, Georges, Haulleville, de, Prosper, Pierron, Sander, Bernard, Charles, Solvay, Lucien, Huisman-Van den Nest, Alphonse - LieuBrussel
- Sujettentoonstellingen
Caractéristiques
- Genreredevoeringen
- Supportpapier
- Matériel d'écriturepennen
- Numéro de l’image numériqueA4118
- Droits d'auteurPublic domain
Annotations
- Contenu de l'annotation- Sur le manuscrit, deux dates sont notées au crayon: "10 février 29" et "21 avril 34". - Ensor mentionne également "De Rudder", il s'agit peut-être du critique Arthur De Rudder.
Lieu
- Lieu de stockageKMSKA archiefdepot
- Partie de l'archive
Données supplémentaires
- Objets liésPhoto du banquet de James Ensor au Palais des Beaux-ArtsPhoto du banquet de James Ensor au Palais des Beaux-ArtsPhoto du banquet de James Ensor au Palais des Beaux-ArtsCoupure de presse 'Discours de James Ensor au banquet du 10 février'Menu du "Banquet Ensor" au Palais des Beaux-ArtsPhoto d'un disque vinyle avec un discours de James Ensor
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