Retour à l'archive
lettre

Lettre de James Ensor à James Thriar

Louis Piérard (parlementaire belge) et James Thiriar (peintre) ont demandé à Ensor d'écrire une page sur les arts visuels du Congo, et en particulier sur les masques africains. Mais il dit qu'il n'aime pas les masques ethnographiques. Il associe même les masques africains et asiatiques à des actes criminels, au satanisme et à de nombreux autres « péchés ». Il dit qu'il ne s'inspire que des masques locaux. Il ne souhaite donc pas écrire un article sur l'art visuel congolais.

A3932_001

 

à monsieur James Thiriar                                                                                         Ostende, 31 mai 1937

secrétaire des arts et métiers congolais                                                           27, rue de Flandre

 

Cher Monsieur,

 

Votre charmante bonne du 29 mai me touche à point. Alors notre grand

ami Louis Piérard vous a chargé de me demander « une page consacrée

aux arts plastiques et plus spécialement aux masques qui sont une des formes

les plus curieuses de l’art africain. » Je réponds dare dare.

Que dire des origines troubles, bouches, cachées du masque d’Afrique. Que dire

des péchés capitaux et des crimes couvés et commis sous le masque, couverts

par le masque. Aux siècles d’esclavage masque signifiait l’acheté,

dissimulation, criminalité, crapulerie, égoïsme, exploitation, impunité, duperie,

fuite, détraquement, cruauté, satanisme, morsures, griffes et féminités.

Du masque au fard il n’y a pas loin.

Je condamne sans rémission le masque mal venu des enfers d’Afrique,

d’Asie, d’Océanie, de meurtricie, de cracozie, de sommeillie, de cracozie.

Certes, je transfigure avec délices les masques /vomis/ de nos mers infinies.

 

Je rends, je grave, et dessine les monstres polis, vernis, laminés par les vagues

fragiles.

Je peins et caresse nos sirènes, chevalières élégantes, bariolées, bardées,

crispées élancées, auréolées, phosphorées de cent mille jeux précieuse.

Hardi ! sirènes lucides, musiciennes mordorées, cavales de la mer, prenez sans

tarder, prenez goulûment le morse aux dents.

Je redirai ouvrez ouvrons tous les hublots. Ostende, ville étrange, à toi les clefs de ton

écu de sables et d’or. Entrez au large, Ostende lumière, avec toi je

salue nos masques allumés de franchise et de gaité. Et foin des

traits et des attraits faciles et vieux jeu du fétiche négroïde ou gorille.

Fermez vos becs sorciers-sourciers, congolâtres, /trop/ idolâtre prônés , suiveurs mis

à sac et à sec. Et foin et foin ! des maigres pitances alimentant nos

léopards édentés, suant hurlant sang et misères. Haro ! rois tristes, fainé-

-ants, caverneux, grimaciers noirauds tatoués sur tranches et coutures, et entaillés

sur mesure. Assez de vos cauchemars baveux, vilains esthètes, désagrégés

sans queue ni tête. Inspirateurs de maboulie portant lèvres sur plateau et verres sanglants au museau.

Voyez, goûtez nos masques ostendais. Oui, ils évoluent aux 4 vents de l’esprit.

Habillés de tendresse, corsé de joliesses, pourprés, azurés, nacrés, coquillés,

huîtres, surmoulés, rayés, turbotés, barbus, stockfischés, schollés, gaminés, farcis de

fantaisie, ils s’en donnent à cœur joie. Adorable mascarade, cou-

leurs cinglantes, gammes et jardins d’amour, chants de bourdons, chocs

de cristaux, cloches sur le peaux. Oui, notre carnaval est chaud.

Et vous marcheurs Wallons dues des doudoudoux , des ducasses, coquasses,

de cocardasse

sauteurs en rond mirlitonnés, ruineurs mayeurs /déboutonnés/, gilles bossus, étoiles de

miauliez entrez en danse. En l’air, au vent, aux ailes, aux moulins

lancez vos couvre-chefs grisaillés, vos casques, claques, casquettes et bonnets en-

-rubannés.

 

                Rétablissons nos carnavals purs et nature, ceux des rues,

des ruts et ruées, des mascottes massives ; des grues carminatives, des

plumets et des sabots. Faut mériter de l’art de chez nous, art sain

sans peur ni reproches. Sus aux léopards de contre bande.

 

                Hardi nos gilles et nos lions.

                                                                               James Ensor

 

 

/sirènes/

À propos de ce document d’archive

Identification

  • Type d'objetlettre
  • TitreLettre de James Ensor à James Thriar
  • Date31/05/1937
  • RelationsGeadresseerd aan: Thiriar, James
    Auteur de lettre: Ensor, James
  • LieuOstende
  • Sujetmasques [costume]

Caractéristiques

  • Supportpapier
  • Matériel d'écriturepennen
  • Numéro de l’image numériqueA3932
  • Droits d'auteurPublic domain

Lieu

Données supplémentaires

Rubens

Restez connecté

Recevez toujours les dernières nouvelles.