L'atelier de restauration du KMSKA profite de la fermeture du musée pour restaurer plus d'une centaine d'œuvres d'art. Grâce à ces interventions, on pourra des décennies durant les admirer à nouveau dans leur état d'origine. Fort d’une grande expérience, notre atelier de restauration en a vu de toutes les couleurs. Chose exceptionnelle, quatre restaurateurs ont récemment travaillé simultanément sur trois œuvres du même artiste. De quel peintre s’agit-il ?

Le retable La chute des anges rebelles constitue une œuvre phare du musée. Le peintre ? Frans Floris. Au sein de la collection du KMSKA figurent d'autres œuvres du même peintre, comme Le Jugement de Salomon et Les Dieux de l’Olympe. Grâce au soutien du Fonds Léon Courtin-Marcelle Bouché, le KMSKA a la possibilité d’entreprendre par la même occasion la restauration de ces œuvres. Le tableau La chute des anges rebelles est restauré avec le soutien du Gouvernement flamand.

Restaurer en simultané plusieurs œuvres présente maints avantages puisque les restaurateurs ont ainsi la possibilité de mettre en parallèle leurs recherches. Nous nous pencherons dans cet article sur le personnage de Floris et les liens entre sa biographie et son langage visuel. Dans un prochain article, nous examinerons les pigments employés et la structure des couches picturales.

Italie forever

Frans Floris (1519/1520-1570) est en quelque sorte le Rubens du XVIème siècle. Lorsqu’il a une vingtaine d’années, il se met en route pour Rome où il s’intéressera particulièrement aux œuvres de Michel-Ange et Raphaël au Vatican, puis, à la Chapelle Sixtine achevée par Michel-Ange en 1483. Comme Rubens après lui, il fut impressionné par les sculptures et bas-reliefs de l’Antiquité exhumés en abondance par des fouilles lors de son séjour à Rome. À son retour à Anvers, vers 1546, sa période italienne lui fournira immuablement une source d'inspiration.

Des chaussures romaines à profusion dans Le Jugement de Salomon.

Nous le voyons bien dans la collection du KMSKA. Frans Floris excelle en tout cas dans les sandales romaines et les bottes de soldat. Une armure romaine ? Aucun problème ! Floris n’a qu’à se plonger dans ses carnets de croquis italiens. Ainsi, l'armure que porte Mars dans Les Dieux de l’Olympe trouve son semblable dans la cuirasse portée par l'empereur romain Auguste sur une statue de victoire.

Mars examine la résistance d'une cuirasse romaine
Qui ressemble à celle de l'empereur Auguste. C’est du solide !

Pour les coiffures aussi, il arrive à Floris de sortir de sa poche son carnet de croquis italien. Les bustes romains et les copies romaines des statues grecques dévoilent à merveille les nouveautés en matière de coiffure au fil des siècles.

Vénus dans 'Les Dieux de l’Olympe'
Une copie romaine d'après une statue grecque d'Aphrodite/Vénus

Tel un pictor doctus, peintre érudit, Frans Floris opte fréquemment pour des scènes tirées de la mythologie grecque et romaine. Ou du moins pour des scènes orchestrant des divinités romaines. Comme dans Les Dieux de l’Olympe. Ou encore, il illustre des histoires bibliques au milieu d’un décor romain, comme Le Jugement de Salomon. Il s'agit là d'une véritable nouveauté à Anvers …et d'un succès foudroyant. La ville entière se presse pour un Frans Floris ! Anvers, superpuissance économique et culturelle, vit son âge d'or, un climat économique dans lequel Floris prospère.

Un grand atelier de recyclage

Le peintre réussit à aménager un grand atelier d'où sortent retables, scènes mythologiques et portraits. Pour assurer que sa production soit gérable, il a recours à des tronies. Des modèles vivants anonymes se font dessiner et peindre la tête sous tous les angles possibles. Recyclables, Floris et ses assistants adaptent leurs traits et expressions faciales à volonté, ainsi que les vêtements selon que les personnages sont censés représenter un saint, un ange ou encore une divinité antique.

Une tête d'étude de la collection du KMSKA ressemble beaucoup à Salomon de notre 'Jugement de Salomon'.

Avec Frans Floris, la notion de recyclage peut être prise au pied de la lettre. C’est en tout cas ce qui ressort des trois œuvres que nous restaurons en même temps. Chaque tableau est tel un jeu d’objets cachés dans lequel nous décelons les mêmes têtes sur des épaules différentes. Les trois œuvres réunies montrent une réutilisation sans pareil des mêmes têtes.

Trois fois la même femme dans un rôle différent dans 'Le Jugement de Salomon'.

Évolution et variation

Floris réalise les trois œuvres bénéficiant d’une restauration entre 1547 et 1554. Peint peu après son retour à Anvers, Le Jugement de Salomon, le plus ancien parmi ces tableaux, se rapproche le plus de Michel-Ange et de Raphaël. L'influence affirmée de ses exemples italiens se dissipera progressivement. Frans Floris intégrera des sources d'inspiration plus près de ses origines, comme, par exemple, le dragon/démon à sept têtes dans La chute des anges rebelles (1554) qui provient d'une gravure de Dürer.

Le dragon de Dürer
Frans Floris transforme le dragon de Dürer en un dragon/démon hyperréaliste.

À l’instar des gaillards de Michel-Ange, les hommes chez Frans Floris sont résolument des athlètes. Ils figurent sans aucun doute parmi les mieux charpentés des Pays-Bas de son temps.

Un Mercure charpenté figurant dans 'Les Dieux de l’Olympe'
Un démon particulièrement musclé dans 'La chute des anges rebelles'.

Frans Floris n'utilise pas seulement des têtes d'étude. Il peuple bien sûr ses scènes d'autres têtes. Parfois, il s'agit de véritables portraits ou de visages aux traits particulièrement singuliers.

Une tête plus réaliste dans 'Le Jugement de Salomon'
Un visage plus insolite dans 'Le Jugement de Salomon'.

Frans Floris sait mieux que quiconque comment intégrer ses modèles italiens dans la tradition plus locale d'Anvers. Grâce à un dosage habile de tronies et de personnages réels, il parvient à répondre à une forte demande et à maintenir un niveau artistique élevé. Avec La chute des anges rebelles comme chef d'œuvre absolu. Dans notre prochain article, vous en saurez plus sur le peintre et son processus créatif.