Chez Jan van Eyck, la perfection est toujours au rendez-vous. Qu'il s'agisse de réaliser de grands retables ou de minutieux panneaux, il accorde toujours la même attention aux détails et à la finition. Vers la fin de sa vie, le primitif flamand peint pour l'autel privé d'un mécène inconnu le tout petit tableau « Vierge à la fontaine », une œuvre qui, elle aussi, témoigne du désir d’innovation du peintre. Quels étaient ses secrets ? Comment est-il parvenu à sa formule magique qui est manifestement si différente de celle de ses contemporains ?

1. C’est l'huile qui fait la différence

Jan van Eyck fut le premier artiste à atteindre la parfaite maîtrise de la peinture à l'huile. La détrempe, technique d’usage à son époque à base d'œufs et de pigments, permet seulement de peindre en couches opaques. Or Jan van Eyck tint à créer plus de variations, moins de couleurs unies.

Pour la peinture à l'huile qu’il utilise, il élabora sa propre recette. Ainsi, il est presque certain que van Eyck ajouta au mélange des substances qui réduisent le temps de séchage et rendent par conséquent l’usage de la peinture plus pratique. Les ingrédients et les proportions exactes restent, en revanche, un mystère. En ajoutant des résines, il s'assura que la surface de la couche fût parfaitement lisse, sans la moindre trace de coups de pinceau.

On n’applique pas la peinture à l'huile directement sur un panneau en bois. Il faut d’abord apposer un apprêt, un enduit. Au fil des siècles, cette couche de préparation changea parfois de couleur. Chez Van Eyck, nous trouvons une couche de craie blanche et de la colle animale. Ce fond clair influence le résultat final.

Si vous regardez de près, vous verrez des fenêtres se refléter dans la fontaine.
Zoomé

Van Eyck constitua ses tableaux en grande partie en superposant des fines couches transparentes, des glacis, couches de vernis coloré. Ces couches picturales n'ont pas toujours la même teinte ou couleur. C’est dans notre cerveau que s’effectue la fusion des couleurs. À travers toutes ces couches transparentes, la couche de préparation blanche se reflète, conférant ainsi aux couleurs une luminosité immuable.

Par-dessus les couches sombres et transparentes, Van Eyck appliqua d’épaisses touches opaques de blanc ou de jaune clair. On les retrouve aux endroits où le reflet de la lumière est éclatant, telles les fenêtres de la fontaine.

2. Le pigment le plus cher

À Bruges, Jan van Eyck attend l’ultramarin. Son pigment doit venir d'oltromarino, « d'outre-mer ». En réalité, il vient de beaucoup plus loin. Imaginez-vous un endroit, à environ 7 000 km de Bruges, où les mots “inhospitalier" et "dangereux" sont toujours d’actualité. Quelque part entre les sommets montagneux d’Afghanistan se trouvent des mines où, au temps de Van Eyck, aucun Européen n’avait mis pied. Pourtant, c’est de là que les marchands afghans exportent du lapis-lazuli, et ce depuis l'époque des Égyptiens. À partir du XIIIème siècle, ce sont les Vénitiens qui importèrent la pierre bleue semi-précieuse. Elle produit un bleu nuit sacré, réservé à la robe de Marie. 

Mais d'abord, les fabricants de peinture vénitiens doivent extraire le pigment des pierres. Pour ce faire, ils mélangent les pierres concassées à une pâte composée de résine, de cire, de gomme et d'huile de lin, puis pétrissent le tout dans une casserole d'eau pendant trois jours, procédé pendant lequel le pigment coule au fond. Une fois sec, le pigment peut être expédié à travers l'Europe, et à Bruges.

Zoomé
L'outremer donne à cette Marie un look royal

Ce n'est pas sans raison qu’à l'époque de Van Eyck, le bleu outremer était le pigment le plus onéreux. Encore aujourd'hui, un kilo d'outremer, obtenu selon une ancienne recette, coûte environ 8 000 euros et une partie de l'économie afghane repose toujours sur l'exportation de lapis-lazuli.

Jan van Eyck peint d’abord la robe de Marie ainsi que tous les plis en azurite, un minéral moins coûteux qui provient d'Allemagne et produit un beau bleu vif. Toutefois, pour faire pleinement honneur à Marie, il lui faut un autre bleu, un bleu emblématique au ton violet, le pigment le plus parfait, le bleu outremer qui, comme par miracle, procure à Marie une aura royale.

3. Le pouvoir de la suggestion

Une œuvre de Jan van Eyck fourmille de détails infimes. Dans le petit panneau de la « Vierge à la fontaine », Van Eyck peint une rose de deux millimètres que pourtant on reconnaît aisément, ou une perle d’un demi-millimètre reflétant la lumière. Cette précision est cependant une illusion, car Van Eyck excelle avant tout dans le pouvoir de la suggestion. Et les détails nous le montrent.

Une rose à deux millimètres
Les muguets en détail

En grandeur réelle, nous observons dans l'herbe des muguets près d'un drap d'honneur en brocart et la robe galonnée d'or de Marie.

En faisant un zoom à un millimètre près, nous découvrons une réalité toute différente. Les tiges des muguets ne sont pas même dessinées. L’herbe est un ingénieux jeu constitué d’un fond marron aux tâches vertes et rehauts blancs. Mais pour l’observateur, tout est là.

Zoomé - Van Eyck imite l'or dans la peinture

Lorsqu’il s’agit d’imiter l’or, Jan Van Eyck révèle sa véritable maîtrise. Il renonce à la nécessité de poser de véritables feuilles d’or sur le tableau, surtout dans l’arrière-plan. Van Eyck imite l’or en peinture. Nous le voyons bien dans le bas de la robe de Marie. En appuyant plus ou moins sur son pinceau, il obtient des traits fins ou épais, des nuances claires et obscures. Et le tout, d’un geste rapide et assuré.

Cette maîtrise est particulièrement visible lorsque nous observons comment Jan Van Eyck imite les fils d’or du drap d’honneur en brocart. Déjà en grandeur réelle nous voyons que Van Eyck comprend parfaitement comment l’or reflète la lumière. De surcroît, il tient compte des plis du drap et de l’ombre de Marie.

Van Eyck fait briller le fil d'or avec des variations tonales, des lignes fines et des petits points
Zoomé

Sur deux millimètres, nous pouvons voir comment Van Eyck fait usage de la couleur rouge dans le drap d’honneur, comment il arrive au moyen de traits fins et de minutieux pointillés à faire briller le fil d’or en une multitude de variations de ton, mais aussi, comment il parvient à donner du volume à l’étoffe rouge. On jurerait que c’est du vrai !

4. Le théâtre de la symbolique

Afin de créer de la profondeur, Jan van Eyck n'utilisa pas la perspective mathématique au sens strict. Il a plus d’un tour dans son sac. Il fait de nous des spectateurs de sa pièce de théâtre. Pour construire son œuvre, il dispose les éléments du décor les uns après les autres.

Madonna bij de fontein, Jan van Eyck, KMSKA

Notre regard nous amène de la fontaine vers Marie qui enlace son fils, puis de Marie aux anges, qui, à l’arrière-plan, représentent la transition entre la terre et le ciel. Simple, mais tellement efficace.

Ce mini décor de théâtre regorge de symbolique. Tout a un sens. La fontaine est la mythique Fontaine de la vie éternelle qui fait référence à Marie, source de vie et de fleurs, mais qui peut aussi référer à Jésus pour des raisons similaires. Les dragons décoratifs et le lion sont inspirés d'un texte de la Bible. Les reflets des fenêtres inondées de soleil sont une allusion à la pureté de Marie. Les fleurs lui font également référence et probablement aussi les nombreux détails dont nous ignorons l’explication.